Résumé
Héritier proclamé de Humboldt et initiateur avec Moritz Lazarus
(1824-1903) de la Völkerpsychologie, Heymann Steinthal (1823-1899) est traditionnellement considéré comme un représentant du courant «psychologique» en linguistique. L’un de ses premiers ouvrages (1855), qui multiplie les exemples de non concordance entre la «logique» et la «grammaire», se veut en effet une attaque en règle contre le «logicisme» qu’il impute à Becker et à la grammaire générale, en considérant notamment la prédication comme une propriété quasiment triviale (non spécifiquement grammaticale) du langage. Toutefois le sens de ces appellations n’est pas évident et les choses sont moins simples qu’il y paraît, car Steinthal emprunte en fait autant à ses ennemis déclarés qu’à Humboldt. Plusieurs faits méritent ici d’être soulignés. Premièrement, la généralisation qu’il fait subir à certains concepts classiques, et notamment à celui de prédicat, ce qui le conduit à une conception des relations dites «logiques» proche de celle des grammaires dépendancielles. Deuxièmement, le fait que la spécificité du plan grammatical soit définie, par contraste, dans le cadre d’une typologie basée sur le topos humboldtien du dynamisme de la phrase indo-européenne. Ces deux points, qui caractérisent la Mischsyntax un peu particulière à laquelle aboutit Steinthal, suggèrent qu’il n’y a pas de discontinuité tranchée entre théorie classique du jugement et grammaire dépendancielle. Ils posent aussi des questions épistémologiques plus générales, concernant notamment le lien unissant les objets empiriques (ici les langues) et les métalangages utilisés pour les décrire.

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