Ingénierie linguistique ou «mentalité orthographique»? R.O. Šor et la formule de N.F. Jakovlev
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Mots-clés

I.A. Baudouin de Courtenay, N.F. Jakovlev, R.O. Šor, alphabet, graphème, phonème, trait distinctif, transfert de distinction, «mentalité orthographique », «conscience linguistique»

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Comment citer

Van Helden, A. (2016). Ingénierie linguistique ou «mentalité orthographique»? R.O. Šor et la formule de N.F. Jakovlev. Cahiers Du Centre De Linguistique Et Des Sciences Du Langage, (47), 155–172. https://doi.org/10.26034/la.cdclsl.2016.451

Résumé

Publiée en 1928, la formule de N.F. Jakovlev visait à réduire les graphèmes d’une langue à un nombre inférieur à celui des phonèmes, tout en conservant la prédictibi- lité réciproque entre phonèmes et graphèmes, en exploitant la composition des phonèmes en traits distinctifs ainsi que les «contraintes phonotactiques» de la langue. En russe, la dureté et la mouillure des consonnes sont signalées par les graphèmes des voyelles contiguës. Puisque le nombre des consonnes molles (ou dures) est supérieur au nombre des voyelles, ce biais permet de réduire le nombre des graphèmes par rapport à celui des phonèmes. Jakovlev propose d’exporter cette pratique de transfert d’un trait distinctif à d’autres langues en voie d’être munies d’un alphabet et de l’appliquer à d’autres traits distinctifs, pourvu que le nombre de consonnes caractérisées par eux soit supérieur à celui des voyelles de la langue. Dans un article sorti la même année, R.O. Šor conteste que la formule de Jakovlev soit applicable à n’importe quelle langue. Elle affirme que, dans la plupart des cas, le principe de transfert d’un trait distinctif va à l’encontre de la «mentalité ortho- graphique» des locuteurs. Par conséquent, l’efficacité en termes économiques et ergonomiques promise par Jakovlev devient douteuse dès qu’on vise l’économie de l’enseignement, où on aspire à réduire le gaspillage de l’«énergie intellectuelle» des élèves. Le russe, selon Šor, est l’exception parce que la distribution des consonnes dures et molles y est partiellement complémentaire et souvent conditionnée par des facteurs morphologiques, ce qui appuie leur proximité réciproque dans la «cons- cience linguistique» des locuteurs. La dispute de ces deux éminents linguistes soviétiques si proches l’un de l’autre reflète les deux controverses sous-jacentes qui animaient le débat linguistique à la fin des années 1920: la controverse linguistique sur  l’ontologie  des  catégories  linguistiques,  et  la controverse idéolologique sur le statut de la langue dans la dichotomie de la base et de la superstructure.

https://doi.org/10.26034/la.cdclsl.2016.451
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